Article 06 OCT 2020

Renseignement et enquêtes – Comment l’AMA aide les lanceurs d’alerte à briser le silence

Dans ce numéro de « Sous les projecteurs », qui vise à faire connaître les activités que mènent quotidiennement l’équipe de l’Agence mondiale antidopage (AMA) et ses partenaires, nous nous penchons sur le rôle des lanceurs d’alerte dans la lutte contre le dopage et sur les moyens pris par le service Renseignement et enquêtes de l’Agence pour que les informations fournies par des informateurs soient utilisées de manière confidentielle et responsable de façon à en optimiser l’impact. Vous pouvez consulter les numéros précédents de « Sous les projecteurs » sur le site Web de l’AMA.

Les lanceurs d’alerte peuvent marquer l’histoire. Pour faire progresser les enquêtes et semer la peur chez les contrevenants, rien ne surpasse un informateur crédible qui dispose de preuves solides et qui décide de faire ce qui est juste en aidant les autorités, que ce soit dans le monde du crime organisé, de la corruption politique ou du dopage sportif.
 
Vers la fin de 2014, deux lanceurs d’alerte, de concert avec la station de télévision allemande ARD, ont étalé au grand jour ce qui est probablement le plus grand scandale sportif de l’histoire : le vaste système de dopage institutionnalisé en Russie. Les lanceurs d’alerte en question – Vitali et Yuliya Stepanov – étaient en contact avec l’AMA depuis un certain temps déjà. Malheureusement, en raison des pouvoirs limités de l’AMA à l’époque, l’Agence n’a pas pu agir et a donc facilité leur rencontre avec ARD.
 
La crise du dopage russe provoquée par cette dénonciation a notamment eu pour effet de montrer sans équivoque aux partenaires de l’AMA l’importance de donner à l’Agence les pouvoirs et les ressources nécessaires pour enquêter. Depuis que ces pouvoirs d’enquête lui ont été accordés en janvier 2015 dans la version révisée du Code mondial antidopage en vigueur, l’AMA est à l’avant-garde des enquêtes et de la collecte de renseignement pour le bien des sportifs et du sport propre à l’échelle mondiale. Chaque enquête menée à bien par le service indépendant Renseignement et enquêtes de l’AMA au cours des six années subséquentes a été, dans une certaine mesure, tributaire des informations fournies par de courageux lanceurs d’alerte en position de voir et d’entendre des choses cachées au grand public.
 
« Pour moi, les vrais héros de la lutte contre le dopage sont les lanceurs d’alerte, qui osent dénoncer des actes condamnables, parfois au péril de leur carrière, de leurs liens d’amitié ou même de leur sécurité personnelle, pour le bien du sport, observe Gunter Younger, directeur du service Renseignement et enquêtes de l’AMA. Ces gens-là font preuve d’un courage impressionnant, et nous sommes extrêmement reconnaissants envers ceux qui nous contactent. Le service Renseignement et enquêtes de l’AMA a pour responsabilité de les rassurer, de les guider, de leur donner du courage et de les protéger durant tout le processus. Certains lanceurs d’alerte choisissent de dévoiler leur identité dans les médias, mais la grande majorité d’entre eux préfèrent l’anonymat et continuent de mener leur vie normalement tout en dénonçant des actes répréhensibles. Le cas échéant, nous sommes leur voix et nous ne révélerons jamais leur identité. »

Le directeur Renseignement et enquêtes de l'AMA, Gunter Younger 

En 2017, l’AMA a lancé une nouvelle plateforme numérique sécurisée, appelée « Brisez le silence! », que les sportifs et toute autre personne qui disposent de renseignements peuvent utiliser pour signaler une violation présumée des règles antidopage ou toute non-conformité présumée de la part d’une organisation antidopage en vertu du Code mondial antidopage, ou encore tout acte ou toute omission pouvant entraver la lutte contre le dopage dans le sport. « Brisez le silence! », qui est exploitée sur une plateforme sécurisée en ligne et via une application mobile pour téléphones, est uniquement accessible à un nombre limité d’employés autorisés du service Renseignement et enquêtes de l’AMA. Cette plateforme, qui reçoit environ 150 notifications par année, a connu un succès remarquable depuis sa création. Grâce aux informations recueillies, le service Renseignement et enquêtes de l’AMA a pu activer plusieurs centaines de pistes, allant d’allégations au sujet de sportifs ou de membres du personnel d’encadrement à des cas complexes liés à une mauvaise gestion systémique de programmes antidopage, des non-conformités, voire de la corruption. 
 
Le succès de l’AMA à attirer des lanceurs d’alerte a mené, en 2018, à la création d’une Unité responsable des informations confidentielles, qui a renforcé les capacités du service Renseignement et enquêtes dans deux domaines prioritaires : la collecte de renseignement antidopage et la gestion des sources confidentielles.
 
L’Unité responsable des informations confidentielles est actuellement composée de trois spécialistes multilingues, dont deux au bureau principal de l’Agence à Montréal et un à son bureau européen de Lausanne. Les trois possèdent une expérience et une formation approfondies dans la collaboration avec les lanceurs d’alerte et la collecte de renseignement.

Damien Larin est un de ces responsables. Il souligne l’importance de la confidentialité : « La sécurité de nos sources prime. Elle est la pierre angulaire qui régit toutes nos actions. La protection de l’identité de nos sources est essentielle à notre succès à long terme, et les lanceurs d’alerte peuvent compter sur un anonymat complet, qui les protège à la manière d’un bouclier. Même les enquêteurs de notre service, qui fonctionne indépendamment du reste de l’AMA, ne savent pas qui ils sont. La confiance mutuelle est cruciale dans ce domaine et, au sein de l’Unité, nous définissons notre travail en établissant des relations de collaboration avec nos sources – des relations qui reposent sur une communication réciproque. Il est de notre responsabilité de gérer en toute sécurité ces relations complexes, tout en nous assurant qu’elles débouchent sur des renseignements exploitables pour protéger le sport propre. »

C’est l’exactitude qui confère à l’information toute sa valeur. Dans cet esprit, après avoir établi le contact avec une source, l’Unité responsable des informations confidentielles suit un processus de vérification rigoureux, qui comprend l’évaluation des motivations et de la crédibilité de cette personne. L’équipe doit peser le pour et le contre entre l’impact que les informations de cette source peuvent avoir sur le sport propre et les risques courus par l’individu. En fin de compte, l’Unité ne poursuit sa relation avec la source que si les deux parties sont d’accord et que des protections adéquates sont en place.
 
En plus de son rôle de gestion des sources, l’Unité remplit de facto la fonction de service de renseignement de l’Agence. Elle recueille, enregistre, évalue et distribue tous les renseignements relatifs à la lutte contre le dopage au nom de l’AMA et transmet régulièrement des renseignements exploitables à des fédérations internationales, des organisations nationales antidopage et des organismes chargés de l’application de la loi, y compris INTERPOL. Lorsque des informations sont transmises à l’une de ces organisations, l’Unité effectue un suivi pour s’assurer que ces dernières y donnent suite, et une organisation antidopage qui manque à cette obligation peut se voir imposer des conséquences en matière de conformité. 
 
Le service Renseignement et enquêtes de l’AMA continue de se développer. Le mois dernier, l’Agence a annoncé l’ajout d’une section consacrée aux enquêtes sur la non-conformité des signataires. Composée d’un enquêteur en matière de conformité, d’un responsable des informations confidentielles et d’un analyste du renseignement, celle-ci portera le nombre total d’employés de l’équipe à 15. Environ un quart de toutes les allégations que le service Renseignement et enquêtes de l’AMA reçoit par l’entremise de la plateforme « Brisez le silence! » concerne le respect du Code par les signataires et, jusqu’ici, il n’a pas été possible d’enquêter à fond sur toutes les allégations reçues en raison de ressources limitées. L’ajout de cette nouvelle section vise à changer la donne à cet égard.
 
L’AMA a mis en place une structure et un processus extrêmement solides pour la gestion des lanceurs d’alerte, mais le succès du programme dépend entièrement, en fin de compte, du courage que manifestent les sources en divulguant des informations. Sur ce point, Gunter Younger est sans équivoque quant aux priorités de son équipe et de l’Agence.
 
« Nous avons mis les lanceurs d’alerte au cœur du processus. Quand ils viennent nous voir, ils ne sont plus seuls. Nous les écoutons, bien sûr, mais nous les soutenons aussi tout au long de l’enquête. C’est le rôle de l’Unité responsable des informations confidentielles : elle s’occupe des informateurs et des lanceurs d’alerte, tâche qu’elle accomplit séparément des enquêtes. Si vous avez des informations sur des activités de dopage et que vous ne savez pas quoi faire ou à qui vous adresser, nous sommes là pour vous. Avant de décider si vous voulez transmettre les renseignements que vous possédez, vous pouvez écouter ce que nous pouvons faire pour vous et, si vous n’êtes pas tout à fait à l’aise par la suite, vous pouvez simplement mettre un terme à la conversation sans que nous vous posions d’autres questions. Quand vous choisissez de briser le silence, c’est vous qui êtes en contrôle du processus. »