Nouvelles 22 SEP 2014

Koji Murofushi – Plaidoyer pour l’esprit sportif

Koji Murofushi est un lanceur de marteau professionnel de 39 ans issu de Numazu, ville située dans la préfecture de Shizuoka au Japon. Il a remporté 20 championnats nationaux consécutifs depuis 1995 et se classe parmi l’élite mondiale depuis les Championnats du monde de l’IAAF de 2001, où il a décroché la médaille d’argent. Mais sa carrière a atteint son apogée lorsqu’il est devenu champion olympique aux Jeux d’Athènes, en 2004, alors que la première position lui avait initialement échappé aux mains d’un sportif qui a testé positif ultérieurement. L’athlète nippon a continué de se démarquer dans sa discipline en remportant un titre aux Championnats du monde de l’IAAF en 2011, un prix Fair Play international et une médaille de bronze aux Jeux olympiques de Londres en 2012. Avide défenseur du sport propre, il a rejoint les rangs du Comité des sportifs de l’AMA cette année. Koji est aussi directeur sportif pour le Comité d’organisation des Jeux de Tokyo de 2020 (Tokyo 2020) et membre du Comité des athlètes de l’Agence antidopage du Japon (JADA).

 

Si vous parcourez le Code mondial antidopage actuel (Code), le concept « d’esprit sportif » est on ne peut plus clair et est repris à maintes occasions. On considère l’esprit sportif à ce point important qu’il constitue le fondement qui sous-tend le Code. Plus loin dans le texte, ce terme figure parmi les trois principaux critères à considérer pour inclure une substance ou une méthode interdite sur la Liste des interdictions. Les deux autres critères – le potentiel d’amélioration de la performance sportive et le risque potentiel ou réel pour la santé – sont plus souvent envisagés lorsqu’il vient le temps de décider de bannir une substance.

Certains détracteurs de l’antidopage avancent que l’esprit sportif ne devrait même pas constituer un critère, prétextant que le concept est trop ambigu, trop abstrait et qu’il a très peu de poids dans le système sportif moderne et commercial au sein duquel tous les coups sont permis pour réussir. Nombreux sont ceux, y compris moi, qui réfutent cette idée. En fait, je crois qu’une majorité adhère à ma position pour le maintien de l’esprit sportif et c’est pourquoi j’en fais la promotion sans relâche. Je crois de tout cœur au concept de l’esprit sportif et à la protection des valeurs intrinsèques du sport. Si le Code reconnaît le caractère subjectif de l’esprit sportif – et n’en fournit aucune définition précise – il parvient néanmoins à qualifier le concept : éthique, franc jeu et intégrité, santé, excellence dans la performance, caractère et éducation, joie et plaisir, esprit d’équipe, dévouement et engagement, respect des règles et des lois, respect de soi et des autres participants, courage, esprit de communauté et de solidarité. Difficile d’exclure ces termes essentiels du cadre sportif d’aujourd’hui.

J’ai grandi au sein d’une famille dont le succès sportif coulait dans les veines. Mon père a été Olympien et détenteur d’un record japonais au lancer du marteau. Ma sœur pratique le lancer du marteau et le lancer du disque. Réunis, nous avons participé à quelque 49 championnats nationaux. Ma famille s’est toujours distinguée dans les compétitions d’athlétisme et doit tous ses exploits à ses talents naturels et à d’innombrables heures d’entraînement, rien de moins. Dans la vie, il n’y a pas de solution miracle, seul le travail acharné porte des fruits : c’est le conseil que je donnerais aux futurs athlètes.

On m’a inculqué les valeurs olympiques pures du sport propre à un très jeune âge et elles m’ont suivi au fil de mes exploits : allant des Jeux asiatiques dans les années 1990 aux Championnats du monde en passant par les Jeux olympiques. Ces valeurs sont toujours imprégnées en moi aujourd’hui et j’en suis très fier. Si je n’ai jamais été tenté de tricher pour réussir, j’ai malheureusement été victime de cette tricherie à Athènes, en 2004. Lorsqu’on a découvert que mon principal adversaire avait manipulé son échantillon à un contrôle antidopage, on l’a dépouillé de sa médaille et sanctionné, mais seulement alors m’a-t-on remis la médaille d’or qui me revenait de plein droit. Cette médaille d’or olympique me propulsait peut-être à des sommets inégalés, mais elle n’avait pas été accrochée à mon cou en bonne et due forme. J’ai pu toucher à cette médaille, certes, mais jamais je n’ai pu monter sur le podium ni entendre mon hymne national aux Jeux olympiques. Sans l’ombre d’un doute, cette expérience m’a mené où je suis aujourd’hui : au sein du Comité des sportifs de l’AMA, en tant que fier représentant des sportifs propres du monde entier. Maintenant, je peux montrer aux jeunes qu’ils peuvent jouer franc jeu et réussir sans se doper.   

Ma courte expérience au sein du Comité des sportifs m’a permis de côtoyer des athlètes – actifs et à la retraite – très fervents de sport propre. S’il y a une chose qui unit les membres de ce comité – et la majorité des athlètes – c’est bien cette volonté de faire l’impossible pour garantir à tous un terrain de jeu équitable.

Le sport a la particularité d’opposer les talents naturels des individus les uns aux autres. Toute tentative de compromettre ce concept simple doit être dénoncée et je suis satisfait qu’il y ait des sanctions lorsqu’un sportif viole une règle antidopage. Malgré cela, beaucoup reste encore à faire pour maintenir le sport propre.

Parmi les différentes mesures, nous pouvons continuer de sensibiliser les sportifs actifs et d’élaborer des activités d’éducation et des stratégies conçues pour les futurs athlètes et les jeunes. Le Code stipule clairement que les organisations antidopage (OAD) sont tenues de développer et de mettre en place des programmes d’éducation et de prévention antidopage destinés aux sportifs, aux jeunes et au personnel d’encadrement, en misant sur la promotion de l’esprit sportif et la philosophie du franc jeu. Ceux qui ont pris part aux Jeux olympiques et paralympiques d’hiver de Sotchi en début d’année – à l’instar de ceux qui ont participé aux Jeux du Commonwealth à Glasgow, aux Jeux olympiques de la jeunesse à Nanjing ou aux Jeux asiatiques d’Incheon ce mois-ci – ont vu ces programmes se déployer avec succès. Il est très important que les jeunes athlètes réussissent à force de travail acharné. Les programmes de l’AMA à chacune de ces manifestations étaient efficaces, accessibles et conviviaux et ont aussi réussi à toucher les jeunes sportifs.

Une autre année sportive tire à sa fin. D’année en année, pendant que le sport professionnel gagne du terrain et que la compétition se fait de plus en plus féroce, l’esprit sportif semble prévaloir, et je m’en réjouis. Nous en avons été témoins à de nombreuses manifestations sportives, plus particulièrement aux Jeux olympiques de la jeunesse auxquels participaient des milliers de jeunes athlètes de haut calibre, motivés par une seule et unique passion : leur sport. Les Jeux de Nanjing ont représenté le sport à l’état pur et à son meilleur. Les sportifs étaient là parce qu’ils croyaient fermement en leurs capacités, ils s’accrochaient à la cause davantage qu’aux médailles. Ils avaient une croyance viscérale qu’ils concouraient pour les bonnes raisons et qu’ils pouvaient faire une différence dans leur vie et celle des autres. Cela m’a beaucoup touché.

À ceux qui continuent de mettre en doute l’importance de maintenir l’esprit sportif, je poserais la question suivante : Si nous, passionnés et ardents défenseurs du sport, décidions de faire fi des valeurs sportives comme l’éthique, le franc jeu et l’intégrité et permettre aux tricheurs d’améliorer leur performance au moyen de substances artificielles, quel message enverrions-nous, dites-moi?

Agir de la sorte reviendrait à renoncer à nos responsabilités vis-à-vis du public et à éventuellement perdre la confiance et le respect du monde entier. Mieux vaut ne jamais s’aventurer sur de tels chemins.