Nouvelles 22 AVR 2021

Déclaration de l'AMA sur le cas Alex Schwazer

Au vu des questions que l’Agence mondiale antidopage (AMA) continue de recevoir des médias et d’autres partenaires concernant l’affaire du marcheur italien Alex Schwazer, l’AMA publie la déclaration suivante afin de réaffirmer sa position (déclaration du 18 février 2021 incluse) et de répondre à certaines questions clés de cette affaire.

Le 18 février, le juge Walter Pelino, de Bolzano, a porté une série d’accusations contre World Athletics, le laboratoire antidopage de Cologne et l’AMA. Ces accusations n’ont pas été portées dans un jugement rendu à l’issue d’un procès concernant ces trois organismes, au cours duquel ces derniers auraient eu la possibilité de se défendre pleinement et équitablement contre ces accusations. Au lieu de cela, ces accusations ont été formulées dans une ordonnance préalable émise par le juge d’instruction dans la procédure pénale concernant Alex Schwazer. Ni l’AMA, ni World Athletics, ni le laboratoire de Cologne n’ont le moindre droit d’appel contre ces accusations.

L’iniquité et l’absence de respect des procédures sont évidentes. L’AMA est donc contrainte de se défendre publiquement, afin que les observateurs impartiaux puissent prendre connaissance de la réalité des faits pour se faire leur propre opinion. La rectification de toutes les erreurs et de tous les malentendus contenus dans l’ordonnance du juge demanderait un long exposé. Dans la présente déclaration, l’AMA se limite donc à la principale accusation dont elle fait l’objet, à savoir la falsification de l’échantillon urinaire de M. Schwazer par l’ajout de testostérone synthétique.

Les violations des règles antidopage de M. Schwazer

M. Schwazer est un marcheur athlétique de la région italienne de Bolzano, qui a remporté la médaille d’or dans l’épreuve masculine du 50 km marche aux Jeux olympiques de Pékin en 2008. En juillet 2012, juste avant les Jeux olympiques de Londres, M. Schwazer a été déclaré positif à l’EPO et, par la suite, il a été suspendu des compétitions pendant trois ans et demi. Il a également fait l’objet d’une poursuite à Bolzano pour dopage (considéré comme une infraction pénale en Italie), et a conclu un accord avec la justice après avoir admis la prise intentionnelle d’EPO et de testostérone.

World Athletics a fait prélever un nouvel échantillon sur M. Schwazer le 1er janvier 2016, à l’approche de la fin de sa suspension. Sur la base des premiers tests de routine, le laboratoire antidopage de Cologne a indiqué qu’aucune substance interdite n’avait été détectée dans cet échantillon. Le laboratoire avait bien détecté la présence de testostérone, mais le corps produit naturellement une certaine quantité de cette substance dite « endogène », et rien, au vu des résultats du dépistage, n’indiquait que la testostérone trouvée dans l’échantillon de M. Schwazer était synthétique.

Toutefois, les résultats des sportifs d’élite font l’objet d’une surveillance longitudinale grâce au système du Passeport biologique de l’athlète, afin que les profils suspects soient décelés. Lorsque l’unité indépendante de gestion du Passeport biologique de l’athlète (UGPBA) du laboratoire antidopage de Montréal a examiné le profil anonymisé de M. Schwazer, elle a remarqué que les valeurs stéroïdiennes dans l’échantillon de janvier 2016 ne correspondaient pas aux autres valeurs du profil stéroïdien de ce sportif. L’unité a donc demandé au laboratoire de Cologne d’analyser à nouveau l’échantillon de janvier 2016 à l’aide d’une technique précise – la spectrométrie de masse à rapport isotopique (SMRI) – afin de déterminer si la testostérone contenue dans cet échantillon était d’origine naturelle ou synthétique. Les tests de SMRI ont démontré qu’il s’agissait de testostérone synthétique (un fait que M. Schwazer n’a jamais contesté) et celui-ci a donc été accusé d’avoir commis une seconde violation des règles antidopage.

Le Tribunal arbitral du sport (TAS) a entendu l’affaire en juillet 2016. Il a rejeté les diverses plaintes formulées par M. Schwazer au sujet de la manipulation et du contrôle de son échantillon, y compris l’allégation selon laquelle son échantillon aurait été altéré, et l’a suspendu pour huit années supplémentaires. Cette interdiction prolongée s’expliquait par le fait qu’il s’agissait de sa seconde violation (CAS 2016/A/4707).

Procédure pénale contre M. Schwazer

L’AMA n’a pas été impliquée dans le prélèvement de l’échantillon de M. Schwazer en janvier 2016 ni dans l’analyse initiale de cet échantillon par le laboratoire de Cologne, pas plus que dans la demande de l’UGPBA de répéter l’analyse de l’échantillon par SMRI ni dans cette nouvelle analyse subséquente. Cependant, lorsqu’une procédure pénale a été ouverte contre M. Schwazer à Bolzano après sa suspension par le TAS pour une seconde violation des règles antidopage, l’AMA a été invitée à participer à l’affaire en tant que partie lésée et a offert son soutien au tribunal de Bolzano. À aucun moment, l’AMA n’a fait l’objet d’une enquête ni même de soupçons pour un quelconque acte répréhensible. L’affaire portait sur un seul point, qui consistait à déterminer si M. Schwazer devait être poursuivi pour dopage en vertu du droit pénal italien.

L’accusation portant sur la manipulation de l’échantillon en vue de piéger M. Schwazer

Le juge a reçu l’urine restante de l’échantillon du 1er janvier 2016 et a ordonné une nouvelle analyse, qui a confirmé que l’échantillon en question ne contenait que l’ADN de M. Schwazer.

Le juge a alors conclu qu’une personne non identifiée avait obtenu secrètement l’échantillon d’un tiers contenant de la testostérone synthétique, l’avait exposé aux rayons UV pour éliminer toute trace d’ADN de ce tiers, l’avait mélangé avec l’échantillon d’urine de M. Schwazer prélevé en janvier 2016, puis avait chauffé cet échantillon combiné afin d’en augmenter la concentration de testostérone synthétique.

L’élément sur lequel s’appuie le juge pour parvenir à une telle conclusion est le fait qu’une aliquote (portion) de l’échantillon B de janvier 2016 de M. Schwazer, lorsqu’elle a été analysée pour l’ADN plus de deux ans après son prélèvement, contenait l’ADN de ce sportif à une concentration d’environ 2 500 pg/µL. L’expert désigné par le tribunal a émis l’opinion qu’en tenant compte de la dégradation au fil du temps, la concentration d’ADN dans l’échantillon aurait pu atteindre 18 969 pg/µL au moment du prélèvement. Le juge a considéré que cette concentration se situait en dehors de la fourchette des concentrations d’ADN observables chez un être humain en bonne santé comme M. Schwazer. Par conséquent, il en a conclu que l’échantillon devait avoir été manipulé et concentré selon la méthode susmentionnée.

En réponse à cette accusation, l’AMA formule les commentaires suivants :

  • L’AMA, World Athletics, le laboratoire de Cologne, ni aucune autre personne impliquée dans le contrôle du dopage dans le cadre de cette affaire, n’avaient de motif plausible pour commettre un acte aussi scandaleux.
     
  • M. Schwazer a transvasé l’urine qu’il a fournie le 1er janvier 2016 dans deux flacons de verre hermétiquement fermés (A et B). Il n’y a eu aucune violation de la chaîne de sécurité externe de l’échantillon (transport du lieu du contrôle au laboratoire) ou de la chaîne de sécurité interne (au sein du laboratoire). La formation arbitrale du TAS a conclu, après avoir entendu le témoignage de l’agent de contrôle du dopage qui a prélevé l’échantillon, ainsi que celui du transporteur, que le transport de l’échantillon de Racines (lieu de résidence de M. Schwazer) jusqu’à Cologne (incluant le stockage de nuit dans les bureaux de l’autorité de prélèvement d’échantillons à Stuttgart) s’est déroulé de manière à protéger son « intégrité, son identité et sa sécurité ». La formation arbitrale du TAS a également conclu, après un examen approfondi du dossier d’analyse des échantillons et des témoignages du personnel du laboratoire de Cologne, que tous les mouvements de l’échantillon au sein du laboratoire de Cologne avaient été « correctement consignés ». Aucun des témoins associés à la chaîne de sécurité externe ou interne n’a été interrogé par le juge Pelino.
     
  • L’échantillon de janvier 2016 de M. Schwazer était anonymisé et personne au laboratoire de Cologne ne pouvait savoir qu’il lui appartenait, que ce soit lors du test initial de l’échantillon A ou lors de l’analyse par SMRI de l’échantillon A ayant révélé la présence de testostérone synthétique. Personne non plus à l’UGPBA de Montréal ne savait que le profil stéroïdien examiné appartenait à M. Schwazer lorsque cette unité a constaté une anomalie et demandé que soit effectuée une analyse par SMRI.
     
  • Contrairement au juge Pelino, la formation arbitrale du TAS, qui a entendu les représentants des laboratoires de Cologne et de Montréal, est parvenue à la conclusion qu‘« aucune violation de l’anonymat de l’échantillon et de l’anonymat de l’appelant ne s’est produite » et, plus particulièrement, que le personnel du laboratoire de Cologne « n’avait aucune idée de la personne à qui appartenait l’échantillon du 1er janvier ».
     
  • Les représentants de M. Schwazer étaient présents au laboratoire de Cologne en juillet 2016 lors de l’ouverture de son échantillon B prélevé en janvier 2016 (l’échantillon de réserve). Ils ont confirmé que le sceau de l’échantillon était intact et qu’il n’y avait aucun signe de falsification. Le juge relève que des éléments de preuve sont apparus subséquemment au cours de l’enquête McLaren selon lesquels des « magiciens » des services secrets russes (FSB) avaient trouvé un moyen d’ouvrir et de refermer des flacons d’échantillons scellés sans laisser de trace. Apparemment, le juge Pelino pense que le laboratoire de Cologne, dont la renommée est mondiale, a également découvert comment y parvenir, séparément et indépendamment des FSB, et qu’il était prêt, disposé et apte à le faire pour l’échantillon de M. Schwazer, afin de l’enrichir en testostérone synthétique. Quelle était la motivation du laboratoire de Cologne pour agir de la sorte ? Le juge n’en dit rien. 
     
  • De plus, si l’intention était de piéger M. Schwazer, pourquoi avoir manipulé son échantillon avec une substance impossible à distinguer de la testostérone endogène lors d’un test de routine ? Pourquoi courir le risque que l’UGPBA indépendante ne détecte pas l’anomalie dans le profil stéroïdien et ne demande aucune analyse par SMRI sur l’échantillon de janvier 2016 ? Pourquoi ne pas avoir tout simplement manipulé l’échantillon avec un stéroïde bien connu, qui n’est pas produit naturellement et qui est facilement détectable (tel que le stanozolol), afin de garantir sa détection instantanée et des poursuites immédiates ? 
     
  • Quant à l’élément de preuve prétendument déterminant – à savoir la concentration d’ADN de M. Schwazer mesurée dans une partie de l’échantillon B datant de janvier 2016,  qui aurait atteint 18 969 pg/µL au moment du prélèvement  et qui serait prétendument en dehors de la fourchette normale pour les humains en bonne santé –, il importe de préciser que :
     
    • Les concentrations d’ADN dans l’urine varient considérablement, car l’urine est un déchet qui recueille l’ADN à la sortie du corps et n’est pas une substance cellulaire comme le sang.
    • Une concentration de 18 969 pg/µL se situe tout à fait dans la fourchette des concentrations d’ADN trouvées chez les humains en bonne santé. À titre d’exemple, le laboratoire antidopage de Lausanne a fourni la preuve d’une concentration d’ADN supérieure à 25 000 pg/µL mesurée dans l’échantillon d’un sportif.
    • La concentration d’ADN mesurée dans l’échantillon prélevé sur M. Schwazer en juillet 2016 était de 14 013 pg/µL, nonobstant le fait que cet ADN a été quantifié en octobre 2017, soit plus de 15 mois après son prélèvement  et après dégradation par rapport à sa mesure initiale.
    • Pour ces raisons et plusieurs autres, trois experts indépendants ont fourni des avis clairs et sans équivoque dans le cadre de la procédure judiciaire de Bolzano. Selon eux, la concentration d’ADN dans l’échantillon de janvier 2016 de M. Schwazer n’avait rien d’anormal.
  • Le juge a choisi d’ignorer toutes ces preuves. Par ailleurs, il a laissé entendre que les preuves du laboratoire de Lausanne n’avaient pas été déposées correctement auprès de lui ou de l’expert nommé par le tribunal, bien que ce dernier ait fait référence à ces preuves dans son premier rapport. Une telle approche n’est possible que lorsque vous n’instruisez pas un procès et que vous n’êtes pas tenu de respecter une procédure régulière, ni de fournir aux personnes que vous accusez l’occasion de se défendre pleinement et équitablement et d’expliquer ce qui pourrait vous échapper. Une telle démarche ne saurait aboutir à des accusations sérieuses ou solidement justifiées.

Conclusion

L’AMA s’indigne du fait que le juge ait cru bon de publier une ordonnance portant ces accusations très graves sans lui donner au préalable, ainsi qu’aux autres parties, la possibilité de se défendre de manière adéquate. Cette façon de faire n’a rien d’une procédure régulière. L’AMA rejette catégoriquement les allégations formulées à son encontre par le juge. Il en sera de même pour tout observateur impartial prêt à écouter objectivement toutes les preuves.